Le droit à l’effacement de données biométriques et génétiques des personnes condamnées pénalement.
1/ De quelles données parle-t-on ?
Les données biométriques sont des données à caractère personnel permettant d'identifier un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales.
Les empreintes digitales sont des données biométriques.
Les données génétiques (traces ADN) font également partie des données biométriques ; eles sont des caractéristiques génétiques qui donnent des informations uniques sur la physiologie ou l'état de santé.
Elles s’obtiennent grâce à une analyse de tissus biologiques comme le bulbe de cheveux, la salive, le sperme ou le sang.
Toutes ces données ont la particularité d’être uniques et permanentes.
Ces données sont recueillies par les services de police sur les lieux d’infractions et souvent enregistrées dans des fichiers pendant les enquêtes.
Elles sont qualifiées de « données sensibles » par l’article 10 de la directive Police-Justice (UE) 2016/680 et leur traitement est donc soumis à des règles strictes.
2 / Le droit de l’Union interdit la conservation générale et indifférenciée de ces données jusqu’au décès des individus condamnés
Le 30 janvier 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt énonçant que la conservation générale et indifférenciée des données biométriques et génétiques des individus condamnés pour une infraction volontaire jusqu'à leur décès est contraire au droit de l'Union européenne
Un citoyen bulgare condamné pour faux témoignage, ayant purgé sa peine et ayant été réhabilité, s’était vu rejeter la demande de radiation de ses données du fichier par la police bulgare au motif que la loi bulgare ne prévoyait aucune possibilité de radiation de ce registre pour les condamnés jusqu’à leur mort.
La police bulgare avait considéré qu’une condamnation pénale définitive, y compris en cas de réhabilitation, ne fait pas partie des motifs de radiation de l’inscription au registre de police.
La personne avait formé un pourvoi devant la Cour suprême administrative bulgare s’appuyant sur la directive européenne « Police – Justice » de 2016 (dir. (UE) 2016/680 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, selon laquelle le traitement de données à caractère personnel résultant de leur conservation ne saurait avoir une durée illimitée.
Interrogée par la Cour administrative suprême de Bulgarie, la CJUE a clairement affirmé que « Quand bien même la conservation générale et indifférenciée est justifiée par la prévention et la détection d’infractions pénales, d’enquêtes et de poursuite ou d’exécution de sanctions pénales, les autorités nationales sont tenues de mettre à la charge du responsable du traitement l’obligation de vérifier régulièrement si cette conservation est toujours nécessaire, et reconnaître à l’intéressé le droit à l’effacement de ces données lorsque tel n’est plus le cas ».
Pour arriver à cette conclusion, la CJUE questionne la proportionnalité de la mesure mise en œuvre par la loi bulgare, qui permet une conservation de données qualifiées comme sensibles jusqu’au décès de la personne condamnée.
Le point 59 de l’arrêt soutient que la notion d’infraction pénale intentionnelle relevant de l’action publique utilisée par la loi bulgare pour limiter les cas de longue conservation des données « revêt un caractère particulièrement général et est susceptible de s’appliquer à un grand nombre d’infractions pénales, indépendamment de leur nature et de leur gravité »
Dans le point 60, la Cour relève que « toutes les personnes définitivement condamnées pour une infraction pénale relevant de cette notion ne présentent pas le même degré de risque d’être impliquées dans d’autres infractions pénales, justifiant une durée uniforme de conservation des données les concernant. Ainsi, dans certains cas, eu égard à des facteurs tels que la nature et la gravité de l’infraction commise ou l’absence de récidive, le risque représenté par la personne condamnée ne justifiera pas nécessairement le maintien jusqu’à son décès des données la concernant dans le registre national de police prévu à cet effet »
Et la Cour Européenne de conclure que le traitement de ces données excède la durée nécessaire et viole le principe de minimisation.
En dépit de son intérêt pour de futures enquêtes pénales, la conservation des données des individus condamnés pénalement doit donc être limitée, le décès de la personne n’étant pas un délai admissible.
Cette position de la CJUE doit être analysée au regard du droit français et à ses règles en matière d’effacement des données biométriques et génétiques.
3 /Le droit français en la matière : Quelles sont les règles juridiques qui s'appliquent en matière de droit à l'effacement.
En France, plusieurs fichiers nationaux comportent des données biométriques ou génétiques comme le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) ou encore le fichier des personnes recherchées (FPR).
L’article 706-54 du code de procédure pénale prévoit cependant la centralisation des traces et empreintes génétiques au fichier national des empreintes génétiques (FNAEG).
Le FNAEG est exploité par la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l’intérieur, sous le contrôle d’un magistrat et est utilisé pour l’identification et la recherche des auteurs d’infractions à l’aide de leur profil génétique.
Seuls les personnels prévus par la loi sont habilités à consulter ce fichier.
Créé par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, ce fichier était donc initialement destiné à recevoir les empreintes génétiques dans le seul cadre de la délinquance sexuelle.
Son champ d’application a été étendu par plusieurs textes successifs à d’autres infractions.
Aujourd’hui, le fichier contient notamment les données d’individus condamnés définitivement à une peine privative de liberté pour avoir commis l'une des infractions visées à l’article 706-55 du code de procédure pénale ou à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants d'avoir commis une infraction.
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Il s’agit principalement d’infractions de nature sexuelle, de crimes et délits d'atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie, de violences volontaires, de menaces d'atteintes aux personnes, de trafic de stupéfiants, d'atteintes aux libertés de la personne, de traite des êtres humains, de proxénétisme, d'exploitation de la mendicité et de mise en péril des mineurs, de crimes et délits de vols, d'extorsions, d'escroqueries, de destructions, de dégradations, de détériorations et de menaces d'atteintes aux biens.
La personne condamnée pour ces infractions est informée de l'enregistrement et du fait que les empreintes génétiques découvertes dans le cadre d'autres affaires pénales pourront être comparées aux siennes.
L'enregistrement des empreintes ou traces est toujours réalisé dans le cadre d'une enquête pour crime ou délit, d'une enquête préliminaire, d'une commission rogatoire ou de l'exécution d'un ordre de recherche délivré par une autorité judiciaire.
Combien de temps sont conservées les données ?
En 2017, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour son régime de conservation des données sur une durée de 40 ans, mesure qui de surcroit ne faisait pas de différence selon la nature et/ou la gravité de l’infraction commise et qui ne permettait pas au condamné la suppression de ses données (Arrêt Aycaguer c. France, du 22 juin 2017, n°8806/12).
Depuis lors, le décret n° °2021-1402 du 29 octobre 2021 l’article R53-14 du code de procédure pénale prévoit une durée légale de conservation en fonction de la gravité de l’infraction ainsi qu’un droit du condamné à demander l’effacement de ses données.
Pour les personnes définitivement déclarées coupables ou ayant fait l'objet d'une décision d'irresponsabilité pénale, la durée légale de conservation est de 25 à 40 ans selon la gravité des faits.
Pour les personnes mises en cause pour certaines infractions (infraction de nature sexuelle, meurtre, vol, extorsion, escroquerie aggravée, destruction, acte de terrorisme), la durée légale de conservation est de 15 à 25 ans, selon la gravité des faits.
Demander l’effacement des données avant la durée légale de conservation ?
L’article 706-54-1 du code de procédure pénale distingue deux cas :
Les personnes définitivement déclarées coupables ou ayant fait l'objet d'une décision d'irresponsabilité pénale qui pourront voir leurs données supprimées par anticipation sur demande et à l’expiration d’un délai minimum :
3 ans quand le délai de conservation est de 15 ans
7 ans quand ce délai est de 25 ans
10 ans quand ce délai est de 40 ans
Les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions ayant bénéficié d’une relaxe ou d’un acquittement qui verront leurs données supprimées avant la fin de la durée de conservation par simple demande sans délai.
Pour demander l’effacement des données, il convient de faire une demande par lettre RAR au procureur de la République.
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